Le secret d'une telle réalisation est l'imprimante 3D : Winsun a « imprimé » séparément chaque pièce de la maison à partir de béton recyclé avant de les assembler sur place. Ces villas shanghaiennes sont les premières à être commercialisées dans le monde.
Les maisons à 3.500 euros constituent l'exemple éclairant d'un processus économique fondamental : la mue d'une invention (maîtrise technique de l'impression 3D) en innovation (émergence d'un business model). En France aussi, les acteurs économiques et politiques doivent entrer dans cette logique : l'innovation technologique est un levier formidable pour le marché du logement.
Au cœur du processus, se situe la figure de l'entrepreneur, aventurier moderne. Décrit comme un acteur central par l'économiste autrichien du XIXe Joseph Schumpeter, l'entrepreneur lance une phase dite « de destruction créatrice ». Winsun et ses maisons imprimées menacent à terme les emplois de millions d'ouvriers chinois du bâtiment et l'existence d'une multitude d'entreprises du secteur. Pour autant, ils créent des nouveaux métiers (pour fabriquer les imprimantes, les vendre, les utiliser) et font chuter les prix dans la construction. Les économies réalisées par les ménages devenus propriétaires pour 3 500 euros seront dépensées ailleurs ou épargnées (et donc investies par les établissements financiers). Rien ne se perd.
L'innovation permet à la multitude d'accéder à des biens jusque là réservés aux nantis, « la reine Elizabeth possédait des bas de soies » mais pas « les ouvrières d'usines » écrivait Schumpeter. Visionnaire, l'économiste imaginait bientôt le problème du logement résolu grâce aux maisons préfabriquées. Nous y voilà avec les maisons imprimées.
Malgré le lobbying des acteurs installés (un classique de l'histoire de France : les enlumineurs avaient ainsi réussi à faire interdire l'imprimerie durant quelques années, à la fin du XVe siècle), les pouvoirs publics doivent mener une politique optimale : favoriser l'innovation grâce à la concurrence ; mener une politique efficace de formation continue pour aider les reconversions ; traiter les externalités négatives qui apparaissent avec l'émergence d'un nouveau produit ou d'un nouveau marché.
Les externalités négatives portées par le développement des maisons imprimées sont potentiellement de deux ordres : la prolifération de maisons peu esthétiques (qui peut réduire considérablement l'attractivité, notamment touristique, d'un territoire) et la construction de bâtiments de qualité moindre (en particulier sur le plan environnemental). Sur ces sujets, le législateur et les maires veillent déjà au grain, n'ayons crainte.
L'imprimante 3D apparaît comme l'occasion d'une baisse rapide des coûts de construction (qui ont augmenté de 40% en 10 ans), bienvenue face aux enjeux actuels. L'innovation technologique permet ici de construire plus, de faire baisser le coût global du logement et de dégager des marges de manœuvre financière pour effectuer la transition énergétique des habitations.
Seul bémol pour l'instant : les premiers acteurs ne sont pas des entreprises françaises. Le chinois Winsun est le seul à avoir déjà commercialisé des maisons imprimées. L'autre entreprise du marché est l'américain Contour Crafting qui a mis au point un prototype pour produire les maisons d'un bloc (plutôt que d'imprimer des parties puis de les assembler).
Les entreprises françaises du bâtiment ont tout intérêt à entrer dans cette logique innovante. Pour relancer le marché du logement, ne nous tournons pas toujours vers les pouvoirs publics, attendons aussi de nos entrepreneurs.
Économiste et directeur-fondateur du cabinet de conseil et d'analyse économique Asterès, Nicolas Bouzou est membre du Conseil d'Analyse de la Société auprès du Premier Ministre, directeur d'études à la Law & business school de Paris II Assas, vice-Président du Cercle Turgot et chroniqueur sur Canal Plus. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages, dont Le Chagrin des Classes Moyennes, Lattès, 2011.